Pourquoi ces interviews?
Nous voici à nouveau en période électorale, un temps caractérisé par des promesses de candidats faites à diverses franges de la population. De plus en plus, des individus, et parmi eux des femmes, estiment que les solutions doivent venir directement de la société civile plutôt que d'attendre qu'elles viennent du politique. Quelques semaines après les attentats de la fin 2015 à Paris, deux femmes ont organisé plusieurs soirées d'échanges afin de comprendre ce que la société civile pouvait faire pour offrir les mêmes chances à tous les jeunes en France.

Qui es-tu / êtes-vous?
Annabelle Morand : Je suis Annabelle, co-fondatrice de Faistonreseau (MBNW pour "Make Business Not War") !
Jeanne Dussueil : Jeanne, journaliste le jour et cofondatrice de Faistonreseau.com, projet dont l'objectif est de connecter un jeune de 15-25 ans à un premier professionnel, en lien avec son projet ou son envie. On pourrait croire que nous sommes les deux « mamans » du projet, mais nous étions en réalité une bonne dizaine à échanger autour de la table avant de le faire naître…
D’où viens-tu et où en es-tu actuellement?
AM : Je viens de la Drôme et j’ai fait des études de commerce. J’ai fait toute ma carrière dans le digital parce que j’étais convaincue très tôt que cela allait changer le monde. Après être passée par des grands groupes de communication et des start-up, je vais me lancer dans une aventure entrepreneuriale avec Webedia. Je vis et m’implique à St-Ouen, une proche banlieue de Paris qui est incroyable : un condensé d’aujourd’hui (mixité, jeunesse, ébullition culturelle, trafic, dynamisme, migrants, pauvreté, solidarité, richesse associative…) !
JD : Je suis née en Normandie mais j’ai grandi dans les Yvelines. Aujourd’hui parisienne, je suis rédactrice en chef deFrenchweb.fr, le magazine de l’innovation sur Internet et cofondatrice d’un projet média dont la mission est d’enrichir l’actualité française avec des points de vue de l’étranger (GlobalizNow.com) Je m’intéresse à la question jeunes depuis longtemps.
Comment te considères-tu en 3 mots?
AM: Jeanne m’appelle sa « nuclear weapon ; j’aime l’idée de pouvoir « Déplacer des montagnes », même si elles ne sont pas toutes le Mont-Blanc !
JD : Puisqu’elle est l’arme nucléaire, je suis un levier-de-déclenchement !
Quel serait un jour “normal” dans ta vie?
AM : Réveil à 7h, coup d’œil sur le planning de la journée, échanges avec les copines à l’autre bout du monde, échanges avec les MBNW, petit déjeuner en famille avec mon conjoint et mes 3 enfants (Romane, Marius et Léon) et après une course pour que nous soyons tous à l’heure, la journée est comme un long tunnel de réunions, sport, re-réunions puis fin du tunnel vers 20h pour profiter de la famille avant de reprendre la 3e partie de journée qui oscille entre re-boulot, réunions associatives ou soirée avec les amis…
JD : Idéalement il commence toujours par un temps de méditation. Un jour « normal » serait fait de coïncidences et de surprises.
Quelle expérience considérerais-tu comme la plus impactante dans ta carrière aujourd’hui?
AM : Mon expérience en startup a radicalement changé ma façon de travailler : l’horizon de temps et les moyens sont différents des grands groupes au sein desquels j’ai débuté. Il faut sans cesse composer avec la routine quotidienne, le rush, les demandes utilisateurs, les sollicitations… tout en conservant une vision et une ambition moyen/long terme ! La capacité d’exécution et la hiérarchisation sont clés !
JD : Difficile de choisir ! Les plus importantes furent celles qui ont toutes pour origine une rencontre. Celle avec mes deux coauteurs pour le livre « L’entrepreneur et l’indigné » (Ellipses, 2012) pour parler aux jeunes, celle avec une journaliste allemande qui m’a encouragé, celle avec des entrepreneurs chinois ou d’ex-Mongolie communiste, bien d’autres encore…et celle avec Annabelle bien sûr !
Que ferais-tu différemment maintenant que tu es plus au fait des certaines choses que dans le passé?
AM : Passer plus de temps avec son réseau, l’entretenir, être davantage à l’écoute des autres, c’est vraiment un enseignement que j’aurai aimé prendre en compte dès le début de ma carrière. Rien de tel que d’être aidé et d’aider à son tour.
JD : Il ne faut pas regretter ce qui a été fait. Peut-être d’avantage « oser faire », mais là encore tout vient en son temps, et j’ai l’habitude de dire qu’on est toujours moins ignorant qu’hier.
Quel conseil partagerais-tu avec les jeunes?
AM : Ayez des convictions ! Personne ne vous reprochera d’en avoir et de vous être trompé. Dans un monde avec de plus en plus d’information, de data, c’est la clé ! Cela permet aussi de très bien gérer ses échecs et c’est comme cela qu’on apprend.
JD : Faites-vous un réseau à l'image de vos projets ! Je n’ai pas fait le mien de manière intéressée; à chaque fois j’avais un objectif et un besoin précis pour l’atteindre. On ne se construit jamais seul. Et surtout, ce que vous avez appris sur vous à l’école; vous pouvez le mettre de côté et vous faire votre propre opinion de vous-même.
Comment priorises-tu les choses/tâches dans ta vie quotidienne?
AM : Par chance, j’aime anticiper, planifier et déléguer. Cela me prend beaucoup trop d’énergie mais c’est vital.
J’ai tout en tête pour la semaine à venir et je remets les compteurs à jour tous les jours (en général dans les transports) que ce soit pour le pro ou le perso. Comme je veux tout faire, pour que cela rentre, je m’appuie sur mon entourage et mon réseau ( !). J’aime avoir des projets courts terme et des sujets de fond qui nécessitent d’avoir un rythme irrégulier : un mélange de routine et d’imprévus…
JD : En suivant mes envies, autant que possible.
Quelles sont tes facteurs clés de motivation?
AM : Les échanges humains et la nouveauté.
Notre rencontre avec Jeanne est à l’image de cela : nous avons été mises en contact par notre réseau : elle avait une super idée et je vivais dans un quartier populaire qu’elle voulait mieux connaître. Après notre premier déjeuner, je savais que je la suivrai et que nous allions créer quelque chose ensemble.
JD : Je pense que l’on est motivé quand on sent que ce que l'on essaie de faire fait intrinsèquement partie de vous. Je lie beaucoup intuition et motivation.
De manière générale, es-tu satisfait(e) de ta performance personnelle et/ou professionnelle aujourd’hui?
AM : J’ai la chance de savoir ce que je veux et d’avoir quasiment toujours fait en sorte d’être alignée avec mes désirs et mes valeurs. Pour autant, l’éternelle insatisfaction est un moteur.
Celle de voir trop de jeunes ne pas suivre la voie de leurs rêves, ne pas s’autoriser à aller vers des professions ou des secteurs qui les font vibrer m’encourage chaque jour à en faire davantage.
JD : Je m’étonne tous les jours de ne pas encore avoir reçu la Légion d’honneur ou le Prix Albert Londres. Plus sérieusement, je pense qu’il reste toujours quelques belles montagnes à atteindre. Celle dont parle Annabelle, de pouvoir ouvrir le champ des possibles pour tous les jeunes est en effet quelque chose à systématiser dans notre pays.
D’après toi, quels sont les éléments clés pour finaliser des projets avec succès (d’un point de vue personnel et professionnel)?
AM : L’envie et l’opiniâtreté sont les deux clés de succès que le projet soit personnel ou professionnel
JD : Avoir foi en soi et en son projet, et ne pas avoir peur.
Penses-tu avoir un équilibre de vie entre l’aspect personnel et l’aspect professionnel ?
AM : Il y a toujours des moments de doute mais je choisis mon degré d’implication dans les deux sphères, cela permet de mieux assumer ce qui se passe.
JD : Le secteur média est fait de quelques sacrifices; c’est supportable si ils sont consentis ! Mais j’ai sûrement des progrès à faire.
Comment gères-tu ton environnement personnel au vu de ton succès professionnel?
AM : Je ne pourrai rien faire si mon conjoint et mes enfants n’étaient pas aussi géniaux ;
JD : Je pense que c’est surtout mon environnement personnel qui me gère !
Penses-tu que l’impact des femmes ait changé au cours des dernières années?
AM : Les choses bougent mais c’est loin d’être suffisant et il faut vraiment briser une fois pour toute ce fameux « plafond de verre ». C’est important que les réseaux féminins se développent, que les femmes entrent aux conseils d’administration des entreprises mais on ne passe pas suffisamment de temps encore dans les écoles et les universités à expliquer aux filles que leurs carrières ne seront pas les mêmes que les garçons.
Il y a des obstacles et il faut passer du temps à leur apprendre à les dépasser.
Pour ma part, j’ai commencé à sentir une vraie différence au moment où j’ai commencé à avoir des fonctions de manager, de dirigeante. J’ai été confrontée à une dureté, à un vocabulaire, des codes très masculins auxquels je n’étais pas préparée et que je n’aime pas beaucoup encore aujourd’hui !
Il y a encore trop peu de femmes exposées dans le monde de la tech et du digital et c’est bien dommage.
JD : Je n’ai pas été confrontée aux mêmes univers masculins qu’Annabelle. A l’inverse, j’ai parfois été victime de beaucoup de violences venant de femmes. Il faut bien sûr replacer ces attaques dans un contexte où des générations de femmes avant la mienne ont souffert d’un manque de reconnaissance.
Je pense que l’impact des femmes grandira véritablement lorsqu’elles uniront leurs forces pour entreprendre de manière positive.
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